Lirimo

Il y a une sagesse dans la nuit, la nuit du velours bleu sombre. Une voix qui appelle au renouveau et à l’aventure. C’est cette sagesse qui le pousse à sortir, cette nuit-là, et à partir vers la forêt pleine de songes, sous la claire lumière lunaire et la pierreries d’étoiles.

Il marche sous les arbres assoupis, emporté par la beauté, la puissance et la profondeur de la forêt. Et doucement, tristement, la forêt murmure autour de lui :

 
« O, enfant des hommes
Tu es entré dans un songe
Et ton songe t’a échappé
Et il est devenu ton boulet,
Ta chaîne et ta prison »

Les arbres sont remplis d’immémorialles sagesses. Pourtant, peu peuvent entendre leur voix. Hélas !

Les arbres chantent doucement dans le vent, pendant qu’il avance sur le sentier de lumière lunaire, sous la voûte de la forêt.

Les feuilles et les brindilles craquent sous ses pas et le vent est frais. Quand tout à coup, une voix l’interpelle. Une grande forme était assise sur un
rocher au bord du chemin et il était en train de la dépasser sans même l’avoir remarquée.

 
- Que vient faire ici la nuit, l’homme bruyant et affairé ? Dans le royaume des elfes et des sylphes ton pas est bien trop lourd, tu fais fuir les plus beaux rêves de cette nuit enchantée.

Le marcheur s’arrête, surpris. Il regarde la silhouette que l’on distingue mal, à demi fondue dans l’ombre bleutée du bord du chemin. C’est un homme, élancé et athlétique. Il a un visage clair et un franc sourire, et cependant un peu mystérieux et rieur. Mais le plus étonnant sont ses yeux : Ils sont lumineux. Vraiment ! Ils brillent. Comme si une claire chandelles brillait derrière chaque œil.

Johan, puisque c’est comme cela que notre promeneur s’appelle, est de plus en plus figé. Il ne sait quoi dire, ou quoi faire devant une telle apparition.

 
- Allons ! Ce n’est tout de même pas moi qui t’effraie ! dit la svelte apparition d’un rire jeune.
 
- Qui est-tu ? finit par articuler difficilement johan, pas très rassuré.
 
- Je suis Lirimo, et je suis un esprit de cette forêt. Pour te servir.

Et il s’exécute d’une vive et élégante courbette. Il ajoute :

 
- Et je vais même te dire qui tu es. Tu es johan, un enfant des hommes. Le nez souvent dans les étoiles et la tête pleine de songes, mais bel et bien un enfant des hommes quand même. Et il y a bien longtemps que tes rêveries te portent vers le petit peuple des forêts, les mystères du ciel étoilé, les grands êtres de ce monde et les secrets dissimulés au cœur du vent et des marées.

Johan était resté immobile, comme hypnotisé.

 
- Allons, dit l’apparition. Viens parcourir avec moi la forêt !

Et Hop ! D’un pas vif, il l’entraîne sur un sentier dissimulé à côté. Les nuages qui filent vifs, l’air pur, le duo du vent et des branches qui tissent leur chant, il était heureux ce soir. Rajeuni, un peu enivré aussi.

Lirimo semble faire quelque importante tournée, inspectant et regardant maints recoins de la forêt. Et pourtant jamais sérieux.

Toujours rieur et joyeux, bien que profondément appliqué. Mais le plus étrange est cette façon qu’il a de faire corps avec la forêt. Bien plus, on dirait presque que c‘est la forêt elle-même qui se tient devant johan, sous l’apparence de Lirimo. Quelque fois, quelques mots lui échappent, sans que johan ne comprenne vraiment à qui ils s’adressent : « Allons, dans quel état vous êtes vous mise…. » ou « bien le salut, petit maître… »

Johan suit le gai personnage, pris dans quelque profond et bel enchantement. Ses pieds semblent légers, on dirait qu’ils volent ou qu’ils dansent. Jamais il ne se les prend dans une racine, jamais il ne trébuche. C’est comme faire un avec le vent qui court avec eux, bruissant dans les arbres et les taillis à leur côté.

Enfin, après bien des collines, des rivières et des sentiers, Lirimo fait halte, et d’un geste l’invite à s’assoire. C’est une clairière aux senteurs boisées. Une chouette ulule et les étoiles brillent claires dans la trouée de la foret. Lirimo est debout. Il ne dit rien pendant un moment, respirant à pleins poumons et regardant le ciel.

 
- Ainsi tu veux vivre comme nous. Plus près du monde et de son pas, de son chant et de ses secrets. N’avoir au cœur que le monde ? Il te faudrait beaucoup t’alléger.
 
- Je peux essayer !

Lirimo le regarde un instant, avec un peu de gravité.

 
- Alors, écoute. Voilà de quoi vider un peu ton sac et mettre un peu de magie sous tes pieds.. Ton sac est si lourd, il courbe ton dos, il enfonce tes pieds profondément dans la terre. Il rend pénible ta marche.
 
Voilà : Tu ne possède rien en ce monde. Dés que tu dis « j’ai », dés que tu penses « mon » ou « ma », tu attristes ta destinée. Laisse le monde te confier des choses, te les prêter. Mais surtout, qu’elles restent à lui. Quand tu disais « mon pull, mon sac, ma maison et mon travail » apprends à dire « ce pull, ce sac, la maison, ce travail ». Tu arrives dans ce monde les mains vides et tu en repartiras aussi dénudé.
 
Je vais t’expliquer comment se passe l’illusion dans laquelle tu t’égares: Tu vois une maison, par exemple, et tu cède au plaisir de croire la posséder. Alors, tu dis ma maison. C’est à ce moment là que tu rentre dans le songe. Il te faut alors commencer à t’inquiéter de protéger et de conserver cet objet que tu crois posséder. C’est beaucoup d’effort et beaucoup de soucis. Comme tout change, tu finis un jour par la perdre. Mais comme tu croyais que tu la possédais, tu croies alors que tu la perds. Tout tourne en ce monde, et tous les rêves se transforment en cauchemars.
Tu rentre dans l’illusion par le coté séduisant du rêve et te voilà bien embourbé dedans quand il se transforme en cauchemar. Et tu peux rester prisonnier dedans bien des cycles, perdant et regagnant et reperdant et regagnant sans fin. Ou cherchant un rêve qui te guérira de la douleur causée par le cauchemar qu’était devenu ton ancien rêve qui te guérissait de ton ancien cauchemar. etc..etc..
 
Et aussi ceci : Tu es une personne en ce monde. Ni plus, ni moins.
 
Si tu dis « je suis un professeur, ou un médecin, ou un banquier », tu entre dans un mauvais rêve et un mensonge. Surveille-toi de dire toujours, non pas même « j’ai un travail de professeur, de médecin ou mon poste de banquier » car je t’ai expliqué combien « j’ai » ou « mon » est laid et dangereux, mais « ce travail de professeur » ou « le travail de banquier ».
 
Cela se passe comme pour le songe du verbe avoir : tu entre dans un rêve séduisant (je suis…un banquier, par exemple) et tu finis par vivre un cauchemar (je suis éboueur !).
 
Ainsi, ancre fermement dans ta tête : « Je suis une personne ». Si on te dit « tu es un banquier », pense ou dit bien nettement : « Non, c’est faux. Je suis une personne. ». Si on te dit « tu es un éboueur », affirme calmement « Absolument pas. Je suis une personne ».
 
Mais sois bien vigilant. Car à un moment on va te dire quelque chose de très séduisant, quelque chose comme « tu es un PDG », ou « tu es un grand artiste » ; enfin, quelque chose qui correspond à ton désir le plus profond. Et c’est à cet instant qu’il te faudra résister au songe qui t’appelle. C’est toujours par le côté séduisant (le rêve) que l’on entre dans le songe ; jamais par la facette du cauchemar…
 
Ecoute bien, si tu as l’oreille assez fine, comme la musique de ces deux phrases est différente : « J’ai pris mon pull, mon sac, et je suis sorti de ma maison pour aller à mon travail. Je suis banquier »
et
« J’ai pris un pull, le sac, je suis sorti de la maison pour aller au travail. C’est un travail de banquier »
 
La deuxième est plus légère. Déjà, quelques chaînes sont tombées. On en est tout de suite plus aérien.
 
Ainsi, mon ami des elfes et des sylphes, si tu veux connaître notre bonheur, ne garde avec toi que ton corps. Sois comme un marcheur dans la forêt. Et méfie-toi des petits mots-bouts de chaînes « J’ai, mon, ma, je suis, … » qui te séduisent un peu pour beaucoup t’emprisonner.

Il avait le regard clair, étincelant. Il était vigoureux et svelte, l’homme de la forêt.

 
- Oui, oui, évidemment. On se sent tout de suite bien plus vrai et léger. Murmure le jeune homme avant de demander soudain : Est-ce que je te reverrai ?
 
- Quand tu le veux. Cours la forêt, rêve le nez au ciel et peut être que j’apparaîtrai… Demain, peut être, au clair soleil. Je suis Lirimo.

Lirimo se lève, souriant, salue d’un geste de la main. Pars d’une course, se retourne, et crie. « N’oublie pas. Juste ton corps. N’emmène que ton corps avec toi, à la ville comme à la forêt ! … ». Et il disparaît dans la nuit sombre et bleutée.

Quand il rentra lentement vers sa maison, johan était tout songeur. Il resta longtemps assis sur le rebord de son lit, perdu dans ses pensées…

 

 

Voilà un petit conte que j’ai écrit. Je souhaiterais en écrire plus, les publier sur un site web ou dans un livre. Envoyez-moi vos commentaires à : Nico.e@mageos.com

retour au sommaire